Graveyard connexion

11 minutes, auto-produit, 2020. 

« (…) les sépultures des grands furent nos premiers musées, et les défunts eux-mêmes nos premiers collectionneurs. Car ces trésors d’armes et de vaisselle, vases, diadèmes, coffrets d’or, bustes de marbre, mobiliers de bois précieux, n’étaient pas proposés au regard des vivants. Ils n’étaient pas entassés au fond des tumulus, pyramides ou fosses pour faire joli mais pour rendre service. La crypte, aussitôt refermée, était interdite le plus souvent d’accès et néanmoins remplie des matières les plus riches. Nos réservoirs d’images, à nous modernes, s’exposent à la vue. Étrange cycle des habitats de mémoire. Comme les sépultures furent les musées des civilisations sans musées, nos musées sont peut-être les tombeaux propres aux civilisations qui ne savent plus édifier de tombeaux.»

Régis Debray, Vie et mort de l’image, La naissance par la mort, Gallimard, 1992.



Il est dit que dans 5 ans Facebook comptera plus de morts que de vivants. Dans les mégalopoles chinoises, pour répondre au manque de place, les entreprises de pompes funèbres ont inventé une application de cimetière numérique, que les proches en deuil peuvent visiter via un casque de réalité virtuelle. Les data-center ont-ils vocation à devenir des mémoriaux, emmagasinant les fichiers résiduels des défunts ? Les données des morts sont enfermées dans des lieux impénétrables, comme nos ancêtres, mais dans le même temps, visibles aux yeux de tous via les écrans. Les rangées de racks d'ordinateurs des data-centers rappellent les rangées monolithiques des pierres tombales. Ces profils Facebook de personnes décédées et ces pages, sur cet écran, évoquent un suaire, un linceul, celui que l’on dépose sur les corps sans vie.